Un jour je reviendrai by Juan Marsé

Auteur:Juan Marsé [Marsé, Juan]
La langue: fra
Format: epub
Tags: littérature espagnole
ISBN: 9782020332934
Éditeur: Christian Bourgois
Publié: 1998-05-14T22:00:00+00:00

2

« Encore un peu de café, monsieur Juan ?

— Allez. »

Assis à la table de la cuisine, Jan Julivert sortit de sa poche deux piles, les mit dans la torche et s’assura qu’elle fonctionnait. Il posa la torche sur le côté, défit les boutons des poignets de sa chemise et remonta ses manches jusqu’à mi-bras. Pendant qu’il allumait une cigarette, Mercedes remplit sa tasse de café.

« Vous ne mangez pas beaucoup. Vous ne voulez plus de gâteau ?

— Non, merci.

— Je vais le mettre au frigo et demain vous pourrez l’emporter chez vous.

— Ne vous dérangez donc pas, voyons.

— Et les cannellonis aussi. Bien sûr, si votre belle-sœur ne se vexe pas que vous apportiez des restes. » La cuisinière retira les assiettes sales de la table puis, en roulant ses larges hanches, alla d’un pas lourd au réfrigérateur, l’ouvrit et y mit le morceau de gâteau enveloppé dans du papier d’aluminium. « J’ai passé ma vie à faire la cuisine chez des gens riches et j’ai vu jeter beaucoup de nourriture, monsieur Juan, mais jamais autant qu’ici… Et votre neveu est encore en âge de grandir.

— Cet effronté ? s’écria Elvira en poussant de l’épaule le battant de la porte et en faisant irruption dans la cuisine avec un service à café sur un plateau. En âge d’embêter le monde, plutôt… Vous savez que cet après-midi, dit-elle en regardant le gardien, il voulait me bousculer avec sa carriole ? Et vous savez ce qu’il a dit, ce cochon ? Il a remarqué la bande que j’ai à la cheville, et il m’a dit : “quand une fille se met une bande à cet endroit, c’est qu’elle a ses règles…” Vous parlez d’un idiot ! »

Jan but une gorgée de café et sourit.

« Il ne faut pas te fâcher pour ça. Moi, quand j’étais gosse, je le croyais aussi.

— Eh bien, dites voir, vous êtes de sacrés malins. Je me suis tordu la cheville. » Elle avait posé son plateau sur la table et il perçut brusquement un doux parfum de gin. La jeune bonne s’assit en face de Jan et se servit du café qu’elle venait de rapporter. « Ouf ! Je suis morte. »

Mercedes lavait les assiettes et elle se retourna pour la regarder.

« Il reste encore quelque chose à rapporter de la salle à manger ? » Elle vit ce que faisait Elvira et ajouta : « Madame ne veut pas de café ?

— Elle veut un thé dans une demi-heure, dans sa chambre. Où est Anselmo ?

— Il est allé au pavillon, changer une autre ampoule, soupira Mercedes. Si on me donnait un douro pour chaque ampoule qui a sauté dans cette baraque, je serais riche. »

À propos d’Anselmo, la cuisinière informa monsieur Juan que son cousin partait le surlendemain pour Lebrija. Sa vieille mère était très mal, et il ne pensait pas revenir. Après tant d’années au service du colonel, il allait sûrement recevoir un beau cadeau.

« C’est un vieux râleur, mais je ne suis pas contente qu’il s’en aille, dit Elvira d’une voix boudeuse.

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